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25 septembre 2008

Vive la crise !

Très bon billet, à mon avis, de Denis Sieffert aujourd'hui sur le site de Politis.

Je ne crois pas non plus que la crise actuelle se terminera par:

  • la chute et le dépassement du capitalisme,
  • la remise en cause des politiques néolibérales.
Je vous propose quelques réflexions, un peu en vrac. Ce sont en général des questions, mais le lecteur a le droit de penser que, de ma part, elles sont purement rhétoriques.


1. D'où sortent le(s) milliard(s) de milliard de dollars que va utiliser l'administration US pour éponger les créances pourries des grands joueurs de la bourse? On répond souvent, et c'est déjà choquant: des poches des contribuables.

Or, selon l'habitude étatsunienne, ce ne seront pas des levées d'impôts supplémentaires immédiates qui auront lieu, mais le recours au déficit budgétaire. Cet argent sera donc... emprunté.

Et emprunté à qui? Si je ne trompe pas: emprunté au marché. Le marché qui ne prête plus d'argent au marché va prêter à l'administration. Et, grâce au taux d'intérêt, se rémunérer sur ces bons du trésor.


2. Les banques qui ont émis des prêts pourris vont donc voir leur ardoise effacée. Mais, que je sache, ces prêts courent toujours du côté des particuliers qui ont souscrits ces emprunts. Les particuliers qui ont «acheté» une maison avec un de ces nombreux crédits dont les taux ont explosé, et qui ne peuvent plus payer, vont-ils eux aussi voir leur ardoise effacée, ou vont-ils se retrouver à la rue, tous leurs biens saisis?


3. Alors que nous connaissions une période d'euphorie boursière, la pression coloniale et néocoloniale sur les pays producteurs de matières premières était phénoménale. Question idiote: avec la crise généralisée des économies occidentales, cette pression va-t-elle baisser, ou va-t-elle s'accentuer?


4. Si la pression coloniale et néocoloniale s'accentue, aura-t-on plus, ou moins, besoin de l'alibi (im-)moral du «choc des civilisations» pour soutenir l'économie de la prédation?


5. La pression néolibérale sur nos propres sociétés va-t-elle s'accentuer, ou reculer à cause de sa faillite économique et de l'évident mensonge qu'elle représente? Pour l'instant, il me semble que les pays les plus directement touchés en profitent pour imposer des mesures supplémentaires de déréglementation du marché du travail.


6. Malgré l'euphorie boursière, les outils de contrôle social, au motif de «lutte contre le terrorisme», se sont développés dans les pays démocratiques dans des proportions inquiétantes (voir Edvige en France par exemple). Face à une crise économique qui va s'abattre sur l'«économie réelle», ces outils seront-ils directement retournés contre les sociétés (syndicats, mouvements sociaux, associations militantes..;)?


7. Si nous avons une conjonction entre l'imposition accélérée des politiques néolibérales (pour cause de «lutte contre la crise»), l'utilisation des outils de contrôle contre les sociétés et l'intensification de l'outil colonial qu'est le «choc des civilisations», y a-t-il un risque de basculement (violent ou via le processus électoral) d'une ou plusieurs grandes «démocraties libérales» vers des systèmes autoritaires? Est-ce que ça fait trop de «si» pour qu'on doive s'inquiéter?


8. Quid de la pression sur l'environnement? Kyoto, forages en Alaska, exploitation des zones polaires, alternatives aux combustibles non renouvelables, tout ça... La crise va-t-elle aider à réduire l'impact environnemental de nos systèmes (par exemple: baisse de la consommation), ou au contraire servir d'excuse pour achever de saccager la planète («ça n'est pas le bon moment»)?


9. Mille milliards de dollars représentent, rappelle Denis Sieffert, 8 ans de guerre en Irak. Je suppose qu'on ne compte ici que le coût pour les Américains et non la destruction totale des infrastructures d'un pays.

Mais d'autres chiffres peuvent être cités.

Le montant total de la dette du tiers-monde en 2005 s'élevait à 2600 milliards de dollars.
En 1980, le montant de cette dette était de 540 milliards. Entre 1980 et 2004, ces pays ont remboursé 5300 milliards. Comme le synthétise le CADTM, «les pays en voie de développement ont remboursé presque 10 fois ce qu'ils devaient en 1980, mais leur dette a été multipliée par presque 5». Il serait impossible d'annuler tout ou partie de cette dette sans faire s'effondrer l'économie mondiale. La dette des joueurs de la bourse, elle, sera épongée en quelques mois, pour des estimations de coût qui vont entre 1000 et 2000 milliards de dollars.

L'aide au développement s'élève à un peu plus de 100 milliards de dollars par an. Chiffre déjà dérisoire dans l'absolu (par exemple les transferts d'argent pratiqués par les immigrés vers leurs pays d'origine représentent, eux, 200 milliards), à comparer avec les 1000 milliards de dollars évoqués aujourd'hui.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Vaste sujet, pour le point 1 oui effectivement les 700 milliards c’est en fin de compte une dette qui va être financé par les bons du trésor vendu surtout a l’extérieur des États-Unis, mais bien sur il faudrait qu’il y ait des acheteurs or le dollar va en s’affaiblissant et l’inflation ne cessent de grimper ce qui rend en pratique les bons du trésor en fin de compte beaucoup moins rentable. Même si le congrès vote pour les 700 milliards, il faut les trouver !
Pour le point 5 c’est quand même paradoxal qu’au moment ou le néolibéralisme semble avoir triomphé de tout on assiste en direct a l’effondrement de son modèle financier, supposé incarner son succès le plus éclatant, je crois plutôt que la critique anti-néolibérale va être grandement décomplexée par ces événements. « Le roi est nu ». Personnellement je doutais d’une alternative (surtout de gauche) mais maintenant je me rends compte qu’il ne faut plus penser en termes d’alternatives au capitalisme mais plutôt en termes de remèdes du capitalisme, il faut soigner le capitalisme de sa plus grande maladie : le néolibéralisme. Et bien sur c’est le moment idéal de déclarer que le néolibéralisme est une maladie pour l’humanité et que ces défenseurs sont complices de crimes contre l’humanité.

Anonyme a dit…

"qu’il ne faut plus penser en termes d’alternatives au capitalisme mais plutôt en termes de remèdes du capitalisme, il faut soigner le capitalisme"

Michel Rocard en 1992 ?

Anonyme a dit…

Cette histoire se passe il y a très très longtemps dans des montagnes très très lointaines.
Les bergers paisibles y collectent le lait de leurs brebis et en font un fromage frais fort gouteux. Mais il y a beaucoup à faire avec les troupeaux : la brebis qui met bas, le loup qui menace : Les fromages mal conservés se périment vite dans les sombres bories.

Un jour, des rats sages (les rats parlent une langue bien à eux mais s'adaptent très vite où qu'ils aillent — et ils vont partout - dans les égouts certes mais ils fréquentent aussi les sommets) vinrent trouver les bergers et leur tinrent à peu près ce langage :
« Doux amis, vous nous confiez vos mottes de fromages frais durant la saison de pâture, nous les stockerons dans de vastes entrepôts modernes et luxueux que nous construirons pour. Ils s'y bonifieront. Plus tard, après bonification, quand vous descendrez dans la plaine, vous pourrez revenir les chercher puis les vendre plus chers durant l’hiver.
Pour le prix de l'entrepôt et de sa garde, nous prélèverons la modeste part de fromage qui nous permet, à nous les rats, de vivre, quoique misérablement».

Ainsi fut fait.
Xxxx :
Quand l’automne fut venu, troupeaux rentrés, les bergers se rendirent à l’entrepôt et demandèrent à reprendre les fromages bonifiés. Mais de fromages bonifiés, aucun ! Plus que des vieux rogatons sans valeur ! Les bergers s’en émurent !
« C’est que, dirent les rats dont l'embonpoint surpris les maigres bergers, nous en sommes bien maris ! Notre métier n’est pas sans risque ! Regardez : nous pleurons avec vous! Le changement climatique a sans doute volatilisé vos fromages en part des anges. Il ne reste plus rien ? C’est l’érosion fromagère ! »
Les bergers en étaient benoitement contrits. Mais les rats ne manquaient pas de ressources.

Ils allèrent voir le maire du village des bergers et lui dirent : « Le fromage des bergers dont nous avions la charge a fondu inexplicablement. Les pauvres besogneux ne pourront pas réparer leurs modestes masures. Mais il existe une solution : Monsieur le Maire : vous injectez 700 ½-liards (le mi-liard était la monnaie d’alors) que vous prélevez sur les tailles et gabelles que vous versent les bergers. Nous les utiliserons pour acheter de quoi remplir l'entrepôt à nouveau. Une fois, l'entrepôt plein, nous pourrons ensuite donner aux bergers ce qu'ils nous demandent … si, entretemps, bien sûr, l’érosion fromagère n’a pas à nouveau fait disparaître le stock. Ce que nous ne saurions garantir. La vie suppose des prises de risques. »

Le maire, qui avait certes été élu par les bergers mais tenait son intelligence organisatrice (et divers avantages) des rats obtempéra, acheta pour 700 ½-liards de fromage à ses amis avec la caisse communale. Ils le stockèrent.

Les gazettes saluèrent unanimement l'intelligence du maire. Les rats firent part de leur optimisme retrouvé.
Les bergers un peu chagrins retournèrent aux pâturages sans avoir bien compris.

La crise de l'érosion fromagère était terminée.

Pour la suite de la fable, reprendre le conte au chapitre marqué Xxxx.