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01 avril 2007

Au service de l'État juif (Haaretz)

Je vous livre ci-après une traduction d'un long article publié le 29 mars dans Haaretz: «In the service of the Jewish state». Un seul commentaire de ma part (l'article parle par ailleurs de lui-même): je pense que ce genre d'article ne peut désormais plus sortir que dans des médias israéliens et que, même après une telle publication dans Haaretz, aucun grand média occidental ne considérera qu'il est intéressant de le reproduire.

Au service de l'État juif
par Shraga Elam et Dennis Whitehead
publié le 29 mars 2007

À la fin des années 1940, Walther (Walter) Rauff, un officier SS responsable du meurtre d'au moins 100000 personnes, recherché par les Alliés comme criminel de guerre, était employé par les services de renseignement israéliens. Au lieu de le livrer à la justice, ils l'ont payé pour ses services et l'ont aidé à s'enfuir vers l'Amérique du Sud. Des documents de la CIA américaine, qui sont sortis ces dernières années, montrent que les Américains savaient que le cas de Rauff n'était pas exceptionnel.

Un mémorandum de la CIA daté du 24 mars 1950 décrit les relations entre l'agent israélien Edmond (Ted) Cross, dont le nom est effacé sur ce document, et un nazi nommé Janos Walberg: «L'emploi de ce sujet par les services de renseignement israéliens serait cohérent avec ce qui a été révélé par des discussions avec X [Edmond (Ted) Cross, alias Magen ou Crowder] au sujet de l'utilisation d'anciens éléments nazis pour l'observation et l'infiltration dans des pays arabes. La tentative d'envoyer le très connu ancien colonel SS Walter Rauff en Égypte ayant échoué, les services israéliens ont très probablement (bien que celà ne soit pas encore confirmé) engagé le sujet [Walberg], dont les sentiments et le passé n'éveilleraient pas les suspicions en Égypte, où il ne pourrait pas être suspecté d'être un agent juif.»

Un document plus ancien, de février 1950, affirme que Cross a aidé Rauff à obtenir les papiers nécessaires pour son émigration en Amérique du Sud, bien que la tentative de l'envoyer en Égypte ait échoué. Pourquoi, cependant, est-ce qu'Israël a aidé Rauff? Ce document propose un élément de réponse: «Il n'est pas improbable que la présence de ce sujet en Syrie est été liée à une mission pour les services israéliens.» Rauff était en effet en Syrie, en tant que conseiller militaire pour le président Hosni Zaim, qui cherchait à obtenir un traité de paix avec Israël. Rauff a été forcé de partir après qu'un coup d'État avait reversé Zaim.

La mission que Rauff était censée mener en Égype n'est pas connu, mais ses liens avec Cross pourrait fournir plus qu'un élément de réponse. Selon les recherches menées par Ruth Kimche, une ancienne employée du Mossad, Cross a été envoyé en Égypte en juillet 1948, en pleine Guerre d'Indépendance, pour assassiner plusieurs personnalités égyptiennes avec l'aide d'un groupe de juifs. À la dernière minute la mission a été annulée. Cross est retourné en Égypte en septembre, mais à nouveau le plan ne fut pas exécuté, certainement parce qu'il s'est retrouvé impliqué dans une histoire d'amour avec la princesse égyptienne Amina Nur a-Din et qu'il a dû quitter le pays. Selon Kimche, «Toute cette histoire rappelle fortement l'affaire Lavon dans les années 1950, sauf que, heureusement pour ceux, le plan de 1948 n'a pas été mené à son terme, apparemment grâce à la princesse égyptienne.»

Mais le plan n'a cependant pas été annulé. En 1949, comme les documents américains le montrent, Cross a voulu envoyer Rauff en Égypte. Selon un autre document du dossier de la CIA consacré à Rauff, ce dernier n'a pas atteint l'Égtype, mais un mémorandum de 1953 cite l'ambassadeur américain en Égypte disant qu'un homme nommé Rauff était dans le pays. Certes, le mémorandum décrit ce Rauff comme étant polonais, mais indique aussi qu'il avait organisé l'extermination des juifs en Pologne, ce qui en fait vraisemblablement une référence au fameux officier nazi.

Rauff est né en 1906. Il a servi dans la marine allemande à partir de l'âge de 18 ans. En 1937 il a été démis pour conduite inappropriée pour un officer, à cause d'une affaire d'adultère. Un ami proche, et ancien collègue officier de marine, Reinhard Heydrich, qui était alors le commandant adjoint de la SS sous les ordres de Heinich Himmler, l'a aidé à entrer dans l'organisation nazie. Au début Rauff a servi au quartier général de la SS à Berlin. Après la conquête de la Norvège en 1940, il y a dirigé le service de sécurité pendant trois mois. Cette année-là il a été réadmis dans la marine, à sa propre demande, et a commandé une flotte de démineurs, mais en 1941 Heydrich l'a rappelé au quartier général de la SS.

Quand Heydrich a été nommé gouverneur de la Tchécoslovaquie occupée, Rauff l'a accompagné à Prague en tant que conseiller technique. Il est rentré à Berlin en juin 1942 après l'assassinat de Heydrich par la résistance Tchèque. Rauff a été nommé à la tête du Département technique de la SS et a été responsable du projet d'extermination en utilisant des camions à gaz. Une fois les juifs et d'autres entassés à l'arrière d'un tel camion, le véhicule était scellé et le tuyau d'échappement réintroduit dans cet espace. Une fois le moteur mis en route, les fumées tuaient tout le monde à l'arrière du camion. Entre 97000 et 200000 personnes, pour la plupart juives, furent assassinées de cette façon. Cette méthode de meurtre de masse était trop lente et encombrante pour les nazis, cependant, qui en arrivèrent à développer les chambres à gaz utilisant le Zyklon B comme agent mortel.

De juillet 1942 à mai 1943, Rauff a aussi dirigé l' Einsatzkommando (une unité des Einsatzgruppen, les escadrons de la mort chargés de la destruction des juifs) en Afrique du Nord et a été responsable de la déportation des juifs en Tunisie. En juillet 1943, après un bref séjour à Berlin, il a été nommé commandant de l'Einsatzkommando en Corse et, de septembre 1943 jusqu'à la fin de la guerre, était le commandant de la SS à Milan. C'est à ce poste qu'il a participé aux négociations secrètes qui ont conduit à la rédition des nazis en Italie du Nord. Rauff, contrairement aux autres nazis qui avaient participé aux négociations, a été arrêté par les Alliés le 30 avril 1945. En 1947, il s'est échappé et a été recruté pour le compte des services de renseignement syriens par le capitaine Akram Tabara, qui se présenta sous le nom de Dr. John Homsi.

Rauff conseillait le président Hosni Zaim en Syrie et a été arrêté le jour du coup d'État. Rauff est parvenu à convaincre ses ravisseurs qu'il n'était qu'un conseiller et n'avait aucun pouvoir de commandement; il a été relâché mais on lui a ordonné de quitter le pays.

D'après une des versions des fichiers de la CIA, Rauff était suspecté de liens avec une «activité communiste subversive», en tant qu'agent d'un Allemand nommé Von Lipkau. Après l'expulsion de Rauff de Syrie, il était supposé accompagner Lipkau en Inde pour répandre de la propagande communiste. Selon un rapport de la CIA, la mission a été annulée parce que Lipkau est resté à Tel Aviv pour d'autres engagements.

De Damas, Rauff est allé à Beyrouth, et de là en Italie. Avec l'aide d'Israéliens, et apparemment des services anglais, il a navigué vers l'Amérique du Sud en décembre 1949. Il s'est installé à Quito, la capitale de l'Équateur. En 1953 un rapport le localise à Buenos Aires, où il a probablement dirigé un groupe anti-communiste. En 1958, Rauff déménagea au Chili, obtenant un statut de résident permanent un an plus tard. Il devint marchand de bétail et de poisson, et était décrit comme propriétaire d'un ranch et industriel. Son fils, également prénommé Walter, a été accepté à l'académie navale chilienne et était le protégé du chef de cabinet [Chief of Staff] le général Carlos Prats, un partisan du président socialiste Salvador Allende. Le fils nie que son père ait jamais travaillé pour Israël.

Le 19 décembre 1962, Rauff a été arrêté au Chili après une demande d'extradition de l'Allemagne de l'Ouest. La cour suprême chilienne refusa la demande et libéra Rauff. L'élection d'Allende à la présidence ne changea pas la situation: dans une lettre amicale adressée au chasseur de nazis Simon Wiesenthal, Allende écrivit qu'il ne pouvait pas annuler la décision de la cour de 1962.

En septembre 1973, Allende a été tué dans un coup d'État militaire contre son gouvernement démocratiquement élu. Quelques mois plus tard, le quotidien français Le Monde a rapporté que Rauff avait été nommé à la tête des services de renseignement chiliens; ce rapport a été démenti par le gouvernement chilien. Dix ans plus tar, en janvier 1984, le Chili rejeta une demande d'extradition pour Rauff émise par le ministre de la justice israélien. Un mois plus tard, l'Allemagne de l'Ouest renouvela sa demande d'extradition. Le Chili expliqua que le cas ne serait réouvert que si des preuves de nouveaux crimes étaient présentées. Extrader Rauff ne servirait pas l'intérêt public au Chili, expliqua la cour, celui-ci ayant vécu plusieurs années dans le pays et son comportement ne pouvant faire l'objet d'aucun reproche.

Le gouvernement américain entra en scène, affirmant auprès des Chiliens sa conviction que les criminels nazis devaient être jugés. Le gouvernement de Santiago affronta une forte pression internationale en faveur de l'extradition de Rauff. Le président Ronald Reagan et le Premier ministre Margaret Thatcher abordèrent le sujet en 1984, mais leurs commentaires n'impressionnèrent pas le dictateur chilien Augusto Pinochet. La chasseuse de nazis Beate Klarsfeld fit le voyage au Chili pour organiser des manifestations à ce sujet, et fut arrêtée à deux reprises pour troubles à l'ordre public.

Puis le directeur général du ministère des Affaires étrangères d'Israël, David Kimche, se rendit à Santiago en 1984. La presse rapporta qu'il avait insisté auprès de ses hôtes pour extrader Rauff, qu'il aurait décrit comment un des principaux criminels de guerre vivant dans un pays occidental. Sa femme, Ruth Kimche, parlant au nom de son mari, déclara qu'il ne se souvenait pas de cela; ils étaient au Chili en visite privée, explique-t-elle. La sincérité des efforts israéliens pour obtenir la capture de Rauff peut être jugée sur le fait que, dès 1979, Israël avait vendu des patrouilleurs au Chili et avait ensuite effectué la révision d'avions de guerre chiliens, et qu'en 1984 il continuait à assurer leur maintenance.

Rauff mourut d'un cancer du poumon en mai 1984. La déclaration émise par l'ambassade d'Israël sonna comme un signe de soulagement: «Le problème avec M. Rauff est maintenant résolu. Dieu l'a jugé.»

Le fait que Rauff fournissait du renseignement à Israël a été publié auparavant, mais pour une raison inconnue cette information n'a suscité aucun débat public sur l'implication morale du fait qu'Israël ait protégé un important criminel nazi, qui faisait l'objet d'une campagne internationale organisée par les chasseurs de nazis Simon Wiesenthal and Beate Klarsfeld pour le livrer à la justice. De manière similaire, le chercheur américain renommé sur l'Holocauste, Richard Breitman, qui – en tant que directeur des recherches historiques pour le Groupe de travail interagences d'information sur les criminels de guerre nazis – a consulté les fichiers de la CIA concernant Rauff, a choisi d'ignorer les informations indiquant que les services de renseignement israéliens avaient systématiquement employé des nazis dans les pays arabes.

Selon les fiches de la CIA, la personne chargée de gérer Rauff était Ted Cross, dont le nom hébreux était David Magen. Cross a été recruté en 1948 pour des activités clandestines par Asher Ben-Natam, directeur des opérations du bureau politique du ministère des Affaires étrangères, service qui fut le précurseur du Mossad. Cross parlait couramment plusieurs langues et avait servi dans les services de renseignement britanniques pendant la Seconde guerre mondiale.

Selon un article de Gil Meltzer publié dans le quodidien Yedioth Ahronoth l'année dernière, Cross – qui venait d'une riche famille juive de Budapest nommée Gross – était un aventurier international, un hédoniste et un homme à femmes. Pour financer son mode de vie flamboyant, il était impliqué dans des affaires de drogue. Quand Israël découvrit qu'il avait aussi vendu ses services comme agent à l'Égypte – pour la très coquette somme de 20000 dollars – il fut arrêté et condamné à une longue peine de prison. Après sa libération, il se lança dans la restauration et, entre autres choses, participa à la création de la chaîne de hamburgers Wimpy.

Peut-on reprocher au gouvernement israélien les liens entre Cross et Rauff, ou était-ce une initiative personnelle de l'agent double? La CIA, semble-t-il, ignorait certains détails importants des relations de Rauff avec les services israéliens.

À l'occasion de Pessah de 1993, Shlomo Nakdimon publia une interview avec Shalhevet Freier dans Yedioth Ahronoth. À la fin des années 1940, Freier dirigeait une des branches du département politique du ministère des Affaires étrangères, et dans les années 1970 il a présidé la Commission israélienne à l'énergie nucléaire. Il est aujourd'hui décédé. Dans l'interview, il raconta comment il avait recruté Rauff en Italie, après que des amis du ministère italien des Affaires étrangères l'avaient informé au sujet du nouvel arrivant. Rauff utilisait à l'époque un pseudonyme. Selon Freier, alors, ce fut le bureau politique qui employa Rauff; il n'y a aucune mention de Cross dans cette interview.

Freier déclara à Nakdimon que Ben-Natan et le directeur du bureau politique étaient venus en Italie dans le but précis «de voir le conseiller du Président syrien entrer dans la maison de leur homme à Rome». Freier se présenta auprès de Rauff comme un représentant des services de renseignement israéliens. Pendant un mois entier, le criminel nazi s'assit et rédigea un rapport sur le déploiement militaire de la Syrie.

«Lorsqu'il ignorait la réponse à une question, Rauff appelait des amis en Syrie pour obtenir plus d'informations», expliqua Freier. Non seulement le gouvernement israélien payait Rauff, mais s'occupa de plus de lui obtenir un visa italien légal. Rauff, sa femme et leurs enfants voguèrent de Gênes à l'Amérique du Sud. Il livra la dernière partie de son rapport à Freier sur le port.

La CIA reçu des informations selon lesquelles Rauff avait agit au nom des services de renseignement britanniques en Syrie et donna à ses correspondants une copie du plan de réorganisation des services de renseignements et de la police politique syriens. Il semble avoir été au service de plusieurs maîtres en même temps. D'après les documents de la CIA, en novembre 1949 Rauff est arrivé à Rome depuis Beyrouth et a séjourné à la Pension Telentino sous le nom de Walter Ralf. Des sources à l'hôtel ont déclaré qu'il avait peu d'argent et vivait avec parcimonie. Il n'avait aucun visiteur et ne recevait que quelques coups de téléphone. Un prêtre catholique connu pour ses sympathies nazies donna 40000 lires à Rauff. Le 17 décembre 1949, Rauff prit le bateau pour l'Équateur. Son billet et son passeport lui furent fournis par les services soit israéliens soit britanniques.

En janvier 1950, Cross expliqua à des agents de la CIA que Rauff avait quitté l'Italie et avait rompu ses relations avec les services israéliens, mais qu'il avait laissé derrière lui des documents intéressants. Cross promis de les leur amener à la rencontre suivante, mais les agents ne le crurent pas vraiment.

Freier déclara dans l'interview que Rauff continuait de lui écrire. Il expliqua à Nakdimon qu'il maintenait le contact avec le nazi «parce que je pensais qu'un jour je pourrais avoir besoin de lui. Les Arabes lui faisaient confiance.»

Ben-Natan, qui fut plus tard directeur général du ministère de la Défense et ambassadeur en France et en Allemagne, confirme aujourd'hui que Freier avait employé Rauff mais dit qu'il n'a reçu de rapport de sa part qu'après les faits. Rétrospectivement, Ben-Natan considère aujourd'hui que nouer des liens avec un criminel nazi était une erreur, mais il insiste sur le fait qu'il a livré des informations très importantes.

Dans les mémoires publiées il y a cinq ans, Ben-Natan présente une version différnte. Il écrit que Freier «était parvenu à envoyer en Syrie un ancien officier nazi, qui a son retour a livré des informations sur le déploiement de l'armée syrienne.» Ben-Natan confirme que l'officier était Rauff, mais n'est plus absolument certain de quelle version est correcte. En écrivant son livre, dit-il, il n'a compté que sur ses souvenirs.

Qu'est-ce que les israéliens qui ont engagé Rauff savaient de son passé? Étaient-ils au courant de la gravité de ses crimes? Interrogé par Nakdimon pour savoir s'il savait à l'époque que Rauff était responsable des camions à gaz et de la mort de jusqu'à 200000 personnes, Freier a répondu qu'il l'ignorait: «Je l'ai interrogé sur son passé, et il a prétendu qu'il avait été un officier de la Gestapo chargé de fabriquer des fausses livres britanniques dans le but de subvertir l'économie anglaise. Ce n'est que plusieurs années plus tard que j'ai entendu à la radio que les Américains, après avoir décodé des fichiers des dirigeants nazis, affirmaient que Rauff avait été chargé des activités d'ingénierie à la Gestapo.»

Il est difficile de croire que Freier ne savait pas qui était recrutait. Le 2 mai 1945, plusieurs journaux rapportent que «l'infâme colonel Rauff, la tête longtemps recherchée de la SS à Milan, a été capturé». Le 19 octobre 1945, détenu par les Américains, Rauff signe une déclaration assermentée dans laquelle il admet son implication dans le meurtre de juifs dans les camions à gaz. Ce document a été produit lors des procès de Nuremberg, ainsi qu'une lettre de son subordonné, le docteur August Becker, qui contenait un rapport sur les problèmes techniques rencontrés dans le meurtre de masse des juifs. Par ailleurs, le nom de Rauff apparaît 31 fois dans les transciptions des procès de Nuremberg. L'information était facilement accessible: il suffisait de contacter le docteur Robert Kempner, un juif américain qui était l'adjoint du procureur principal à Nuremberg, ou les observateurs juifs des procès. Ben-Natan, qui a receuilli des informations sur les criminels de guerre nazis quand il était en Europe, confirme que cette information était disponible.

La mention d'une connexion de Rauff avec le projet SS de fabriquer des faux billets anglais amène des questions sur une autre opération à laquelle Frier a participé. À la fin de la guerre, un juif nommé Jacques Van Harten, un des principaux intervenants dans le projet de faux billets, a contacté des soldats juifs de Palestine en Italie du Nod et a proposé de grandes quantités de faux billets en échange de sa protection. (Un article sur cet épisode a été publié dans le présent magazine en 2000.)

En plus de grandes sommes d'argent, Van Harten détenait aussi de grandes quantités de bijoux. Shmuel Ossia, un associé de Freier, a témoigné que ce dernier avait interrogé longuement Van Harten sur son passé. Ossia se souvient avoir vu Van Harten, effrayé, dans un couloir, pendant son interrogatoire, qui a duré plusieurs jours. Van Harten a sans aucun doute raconté comment il avait aidé l'envoyé spécial de Himmler, Kurt Becher, qui était chargé du pillage des biens des juifs de Hongrie, et révélé qu'il connaissait la source des faux billets britanniques qui, plus tard et grâce à Van Harten, deviendraient un source cruciale pour le financement de l'immigration illégale et des opérations d'achats d'armes par la Hagannah, le précurseur des Forces de défense israéliennes.

L'étendue des connaissances de Frier sur les implications de Van Harten est non seulement révélée par les commandants du projet d'immigration illégale (Aliyah Bet), mais aussi par le fait que, dans une interview avec l'historien Nana Sagi en 1966, il a déclaré avec une innocence feinte qu'il ne comprenait pas comment aucune référence n'avait été faite à Van Harten dans les procès de Kastner et Eichmann. Sagi n'a pas demandé à Freier pourquoi il n'avait pas utilisé son large réseau de relations pour répondre à cette question.

Les Américains ont arrêté Van Harten en Italie, le suspectant de favoriser l'évasion de criminels de guerre nazis. Le Mossad l'Aliya Bet – l'organisation clandestine de la communauté juive dans la Palestine d'avant 1948 chargé d'organiser l'immigration illégale de juifs vers le pays – a tenté d'obtenir la libération de Van Harten. Yitzhak Tamari, un soldat de la Haganah qui savait pourquoi Van harten avait été arrêté, protesta auprès du commandant de l'unité de la Haganah en Italie, Eliah Ben Hur (Cohen). Ben Hur, qui devint plus tard major général dans les Forces de défense israéliennes, expliqua à Tamari que Van Harten s'était vu promettre une protection et qu'un gentleman tient toujours sa parole.

Après la libération de Van Harten en 1946, Ben Hur demanda à son père, Abba Cohen, le chef des pompiers de Tel Aviv, d'aider Van Harten à s'acclimater. Van Harten ouvrit un bijouterie dans la rue Nahalat Binyamin, près du marché Carmel. Plus tard, Abba Cohen obtint un travail dans une des entreprises de Van Harten. Van Harten mourut en 1973, considéré comme un entrepreneur respecté et un membre de la communauté de Savyon qui, pendant la guerre, avait utilisé son argent et ses relations pour sauver des juifs et favorisé l'évasion de leurs biens, en particulier des bijoux. Sa famille s'en tint à cette version des faits même après la publication de l'article en 2000. La bijouterie, au passage, ferma ses portes peu après la publication de l'article.

Freier a aussi aidé Van Harten en 1947, quand les Britanniques voulurent l'extrader. Il le mit en relation avec l'avocat de Jerusalem Mordechai Eliash et est certainement responsable de la lettre envoyée aux Anglais par Golda Meyerson (Meir) qui, agissant en tant que ministre des Affaires étrangères par interim de l'Agence juive, affirma que Van Harten était sous la protection de la communauté précédant l'État juif, le Yishuv, parce qu'il avait notoirement aidé à sauver des juifs.

Mais Van Harten est un petit poisson comparé à Rauff, qui était un criminel de la même ampleur qu'un Eichmann. Il n'est ainsi pas surprenant que Klarsfeld, qui avait déployé des efforts considérables pour faire juger Rauff, ait quasiment jeté le téléphone quand elle a entendu qu'il avait été employé par les services de renseignement israéliens, et qu'il avait reçu leur soutien pour sa fuite vers l'Europe. «En 1984, quand j'ai mené les campagnes au Chili pour tenter d'obtenir l'extradition de Rauff, je n'avais aucune connaissance de prétendus “contacts” entre lui et le Mossad», a écrit Klarsfeld dans un email. «Je doute que cela ait été possible, parce que Rauff était bien connu dans le monde juif pour son rôle dans le programme de camions de gazage et aussi pour la persécution des juifs de Tunisie quand il dirigeait la police nazie en Tunisie, et pour la persécution des juifs d'Italie quand il dirigeait la police nazie à Milan.» De la même manière, le directeur du bureau israélien du centre Simon Wiesenthal (basé en Californie), le docteur Ephraim Zuroff, trouve peu probable que Freier ait ignoré les crimes de Rauff.

2 commentaires:

Sophia a dit…

Juste aujourd'hui Angry Arab mentionnait un article paru dans Haaretz qui fait état de trois individus Israéliens recherchés par la Colombie pour leurs activités illégales de vente d,armes et d'entraînement des milices d,extrême droite...

Anonyme a dit…

Kamel,

Merci pour ce que vous faites et chapeu!