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03 décembre 2006

La milice du ministre Fatfat

Parmi les enjeux libanais, en voici un autre, particulièrement important, dont ni Vincent Hervouët ni la presse française ne nous a jamais parlé: les Forces de sécurité intérieure (FSI). L'inquiétude et le ressentiment contre cette structure tenue par le ministre de l'intérieur par intérim, Ahmed Fatfat, armée et financée par les Occidentaux et les pays du Golfe, sont l'objet d'une bonne part des rumeurs sur les dérives sécuritaires du pays (assassinats compris) et, surtout, la preuve pour l'opposition de la dérive du pouvoir libanais vers l'autoritarisme.

Et, pour une fois, la dénonciation des aspects partisan et confessionnel, c'est-à-dire les caractéristiques d'une milice au service d'un groupe politique, ne vient pas d'un site aouniste, d'un média «pro-syrien» ou d'un blog anonymo-douteux, mais est publié par le très vénérable quotidien canadien The Globe and Mail. C'est donc avec plaisir que je vous livre une traduction de cet article.

L'Occident aide le Liban à développer une milice pour combattre le Hezbollah
par Mark Mackinnon

BEIRUT -- Avec l'aide de l'Occident et le soutien des pays du Golfe persique, le gouvernement s'est tranquillement constitué une force armée loyale dominée par les musulmans sunnites et les chrétiens maronites, en prévision d'une possible épreuve de force avec la milice chiite du Hezbollah et d'autres forces pro-syriennes et pro-iraniennes.

Un ministre dans le gouvernement du Premier ministre Fouad Saniora a expliqué au Globe and Mail que le gouvernement pro-occidental avait déplacé environ 8000 soldats supplémentaires dans la capitale dans les derniers jours dans le but de contrer un coup d'État de la part du Hezbollah et de ses alliés, qui préparent des manifestations antigouvernementales massives dans le centre de Beyrouth aujourd'hui.

Mais la mise en place a commencé il y 17 mois, peu après que la pacifique Révolution du Cèdre a mené M. Saniora aux affaires, a reconnu le ministre. La stabilité du gouvernement peut dépendre du comportement d'une force séparée, soutenue par l'Occident, forte de 24000 hommes, et qui a été renforcée de manière très importante pour défendre le gouvernement justement pour une telle situation.

La Syrie et l'Iran ont longtemps livré de l'argent et des armes à des groupes libanais, en premier lieu le Hezbollah. Mais depuis que M. Saniora et ses alliés ont pris le pouvoir en 2005, les États-Unis, la France et plusieurs États arabes sunnites ont lancé le projet de créer une force permettant d'y faire contrepoids.

Les critiques accusent la force d'être dominée par les sunnites, et prétendent que son vrai but est de défendre le gouvernement de M. Saniora, un sunnite, contre le pouvoir croissant de l'importante population chiite dans le pays. La plupart des sunnites du pays soutiennent le gouvernement pro-occidental, tandis que la plupart des chiites soutiennent le Hezbollah. Les chrétiens libanais sont divisés.

Depuis le départ de l'armée syrienne du Liban au début 2005, les États-Unis et la France ont fourni de l'argent et de l'entraînement aux Forces intérieures de sécurité, nom sous lequel cette force de police à l'uniforme bleu clair est connue. La situation politique se dégradant durant les dernières semaines, les Émirats Arabes Unis sont intervenus pour fournir à l'unité un «cadeau» d'urgence prenant la forme de milliers de fusils et des douzaines de véhicules de police.

Les ÉAU et d'autres états arabes sunnites sont préoccupés de voir l'Iran étendre son influence dans la région, a expliqué le ministre du gouvernement Ahmad Fatfat dans une interview, ajoutant que les FSI avait reçu de l'aide sous forme en matière de renseignement de la part de l'Arabie Séoudite, de l'Égypte et du Koweit. L'Iran est le principal soutien du Hezbollah.

«Au Liban, il semble que nous soyons une arène entre la Syrie et Israël, mais il y a un rôle nouveau pour l'Iran. [L'ayatollah Ali] Khamenei a parlé de cela clairement», a expliqué M. Fatfat, faisant allusion à un commentaire récent dans lequel le guide suprême iranien avait déclaré que le Liban serait le terrain de bataille sur lequel «l'Amérique et les sionistes» seraient défaits.

Aujourd'hui, les FSI seraient responsables de la défense des bureaux du Premier ministre, connu comme le Grand Sérail, contre des manifestants attendus pour s'installer dans le square Riad al-Sohl adjacent. Sa colonne vertébrale est une plus petite unité de forces spéciales de 325 soldats d'élite, connus sous le nom de Panthères, identifiables à leurs uniformes bleu foncé et à leur armement moderne.

L'armée régulière étant perçue comme non fiable en cas de crise – elle s'est divisée selon les lignes de division confessionnelles durant la guerre civile –, le gouvernement de M. Saniora et ses soutiens étrangers ont investi lourdement dans les FSI.

Les États-Unis, qui considèrent le gouvernement de M. Saniora comme un étendard de leur «Nouveau Moyen-Orient», ont donné pour 1,5 million de dollars US en assistance militaire «d'urgence» aux FSI juste avant qu'éclate la guerre de cette été entre Israël et le Hezbollah, et le Bureau fédéral d'investigation (FBI) lui a fourni l'entraînement. Washington a promis d'autres millions, mais il n'est pas clair si ces sommes ont été livrées.

Les FSI ont par ailleurs un appareil de collecte de renseignements indépendant de 30 millions de dollars – dans un pays qui dispose déjà de trois appareils sécuritaires similaires – parce que les autres services étaient considérées comme dominées par les chrétiens et les chiites et infiltrés par la Syrie. Des observateurs affirment que les services de renseignement des FSI sont largement vitupérées par des chrétiens et des chiites suspicieux.

«Il n'y a aucune confiance en la police ici. La police est perçue comme une force confessionnelle contrôlée par les sunnites», explique Timur Goksel, un professeur d'administration publique à l'Université américaine de Beyrouth (AUB).

Selon Amin Hteit, analyse miltaire et général de l'armée libanaise à la retraite, les FSI étaient une force d'importance secondaire avec environ 12000 hommes, à comparer aux 63000 de l'armée régulière, avant le retrait syrien. Reflétant l'estimation généralement acceptée de la composition de la population libanaise, un tiers de ses membres étaient chiites.

Les FSI ont depuis doublé en nombre, les sunnites et les chrétiens constituant l'essentiel des nouvelles recrues. Selon le général Hteit, seulement 1000 des 12000 nouvelles recrues sont chiites.

Le général Hteit, un chiite qui conserve dans une photographie encadrée un portrait de lui-même en compagnie du président pro-syrien Émile Lahoud, a expliqué que cette force a été augmentée et sa composante chiite minorée «pour tenir le gouvernement éloigné du danger populaire. Ils ont besoin de défendre le palais du gouvernement.»

Pendant ce temps, l'armée a baissé à 40000 hommes, dont 15000 sont maintenant affectés aux tâches de police dans le Sud, au terme du cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël.

Les FSI sont déjà profondément détestées par ceux qui prévoient de manifester dans le centre de Beyrouth aujourd'hui. En octobre, des émeutes ont éclaté après que deux enfants ont été tués et 12 personnes blessées quand des membres des FSI ont ouvert le feu sur une manifestation dans un quartier chiite.

Sayyidah Ali Naji, dont le fils de 11 ans, Mohammed, est mort après avoir reçu deux balles dans la tête pendant ces manifestations, a expliqué qu'il irait manifester aujourd'hui. «Nous nous attendons à n'importe quoi [de la part des FSI]», a-t-il expliqué, «mais nous n'avons pas peur».
Note. Ahmad Fatfat n'est plus ministre de l'intérieur par intérim. Je faisais remarquer, au lendemain de la démission des ministres du Hezbollah (et d'un de leurs alliés), que les médias occidentaux oubliaient systématiquement de compter un autre ministre démissionnaire: Hassan Sabeh, ministre de l'intérieur démissionnaire depuis l'affaire des caricatures début 2006. Compte d'apothicaire, Hassan Sabeh a décidé de revenir sur sa démission, le jour de l'assassinat de Pierre Amine Gemayel, pour garantir le quorum gouvernemental (il faut les 2 tiers des ministres présents pour que le gouvernement soit constitutionnel). Je viens de m'en rendre compte. La personnalité d'Ahmed Fatfat étant très liée aux dérives dénoncées des FSI, je conserve le titre de ce billet.

2 commentaires:

Sophia a dit…

Vous semblez oublier que pour les dirigeants du nouvel ordre mondial ce n,est pas l'action qui doit être moralement jugée mais la personne qui la fait. Si l'Ouest arme Siniora contre le peuple libanais c'est noble ! Mais enfin c'est pour les libérer contre leur volonté. Regardez ce qu'une entreprise civilisatrice comme celle-là a donné en Iraq !

Anonyme a dit…

Il semblerait que le FSI ait commencé son oeuvre de milice hier....