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26 septembre 2006

Le rapport d'incertitude

Comme à chaque rapport sur la mort de Rafic Hariri, la presse nous livre un condensé de certitudes. Le nouveau rapport Brammertz est déjà présenté sous l'angle de l'évidence dans la presse occidentale.

Associated Press:

NATIONS UNIES (AP) — De nouvelles analyses effectuées par la commission d'enquête de l'ONU sur l'assassinat de Rafic Hariri confirment la thèse selon laquelle l'ancien Premier ministre libanais a été tué lors d'un attentat-suicide au camion piégé, selon un rapport publié lundi.
Par ailleurs, dans ce nouveau rapport, les enquêteurs de l'ONU apportent des précisions sur le kamikaze: il s'agit probablement d'un jeune homme âgé entre 20 et 25 ans qui ne venait pas du Liban, selon des examens effectués par des médecins légistes.
Les enquêteurs ont en effet retrouvé sur les lieux de l'attentat 32 morceaux de restes humains appartenant selon toute vraisemblance au kamikaze. Parmi ces restes figure une dent dont la couronne porte une «marque distinctive» — non précisée — laissant penser que le kamikaze ne venait pas du Liban, selon le rapport.
Depuis un certain temps, les enquêteurs de l'ONU travaillaient sur l'hypothèse d'une bombe placée dans un minivan Mitsubishi et déclenchée par un kamikaze. Les nouvelles analyses corroborent cette hypothèse, en précisant que le kamikaze se trouvait soit à l'intérieur du van soit devant le véhicule et que la bombe était probablement composée de 1.800 kilos d'explosifs.
Les enquêteurs de l'ONU placés sous l'autorité du procureur belge Serge Brammertz notent également que la Syrie s'est montrée globalement coopérative avec eux, alors que Damas avait été accusé de faire obstruction à l'enquête.
Contrairement à son prédécesseur l'Allemand Detlev Mehlis, Serge Brammertz s'abstient de toute théorie ou spéculation sur les commanditaires ou les responsabilités. Ses rapports se révèlent être surtout des documents techniques, alors que ceux de M. Mehlis échafaudaient des hypothèses complexes sur l'implication présumée des services de renseignement syriens et libanais.
«Rapport purement technique» aiment déjà préciser nos médias, la thèse de l'attentat-suicide «confirmée»... Pourtant, la lecture des larges extraits du rapport, publiés aujourd'hui par L'Orient-Le Jour, sera certainement totalement différente dans le monde arabe. On trouve en effet la confirmation d'à peu près tous les soupçons qui circulent quant à la manipulation et l'«amateurisme» de l'enquête...

Dès le premier point, on est sidéré:
Un total de 56 éléments de restes humains ont été découverts en juin 2006, ainsi que quatre autres qui n’ont pu être analysés en raison de leur mauvais état.
Le rapport du 10 juin, en effet, n'en évoquait que 27. Il s'agit donc bien de restes découverts plus d'un an après l'attentat! Passer de 27 à 56 peut en effet se traduire: «l'enquête progresse».

La thèse unique présentée par les médias est celle du van Mitsubishi. Dans le rapport, on lit:
Par ailleurs, une reconstruction en 3D de la scène du crime, au-dessus et en dessous de la chaussée, est sur le point d’être finalisée et sera ajoutée à la base de données représentant l’inventaire des indices. Cet exercice a pour objectif de déterminer le lieu exact de la voiture piégée (i.e. le van Mitsubishi) ainsi que celui de la personne qui a actionné le détonateur.
On lit donc que, un an et demi après l'attentat, on ne sait pas encore «où» se trouvait la «voiture piégée», et on n'est pas encore certain que l'explosion ait eu lieu «au-dessus ou en dessous» de la chaussée. «Sous la chaussée», ça vous fait une drôle de «voiture piégée».

Le paragraphe qui permet à tous les médias d'affimer leur certitude est le suivant:
Des tests indépendants ont confirmé que l’explosion du 14 février est liée à la Mitsubishi blanche qui transportait une bombe équivalant à au moins 1200 kilogrammes de TNT et qui a été détonnée par un homme (dont 32 morceaux de corps ont été identifiés) se trouvant dans ou juste devant le van. Toutes les analyses sur la forme de l’explosion et ses conséquences ont été corroborées.
Le lecteur attentif se souvient que, au paragraphe précédent, on attend encore une «reconstruction en 3D» pour déterminer l'emplacement de la voiture piégée. Élément auquel s'ajoute une autre effroyable suspicion très répandue dans le monde arabe: la phrase suivante indique:
La commission étudie toutefois une nouvelle hypothèse relative à un lâcher aérien qui aurait causé l’explosion.
Encore une fois: cette thèse circule depuis les premiers jours, souvent sous la variante d'un missile à guidage laser. Elle n'est donc examinée que plus d'un an et demi après le crime. Comment, de toute manière, cette étude est-elle compatible avec la certitude absolue de la thèse du van exposée dans la phrase qui la précède immédiatement?

Plus loin, on revient sur la thèse de l'explosion au-dessus ou en dessous:
Le rapport expose toutes les méthodes suivies pour déterminer si l’explosion était oui ou non souterraine.
Puis, carrément, sur le nombre d'explosions!
La commission va, par ailleurs, effectuer une simulation pour pouvoir déterminer à partir de la position des témoins au moment de l’explosion s’il y a eu vraiment une ou deux déflagrations au moment et immédiatement après l’explosion.
Le rapport souligne, en outre, qu’une dernière étape d’interrogations est nécessaire pour tirer au clair cet aspect de l’enquête. À ce stade, l’hypothèse privilégiée de la commission demeure celle d’une seule déflagration, le phénomène des deux déflagrations entendues par un certain nombre de témoins pouvant être scientifiquement expliqué.
Le paragraphe sur les motifs du crime est un bel exemple de remplissage de papier (n'oublions pas que, dès le lendemain de l'attentat, chacun se répandait dans les médias assurant connaître les commanditaires et les raisons du crime, en s'appuyant souvent sur les «conclusions» supposées des rapports des enquêteurs):
La commission a identifié différents motifs potentiels, pas nécessairement corrélatifs, qui ont pu sceller la décision d’assassiner Hariri – sachant qu’il est tout à fait possible qu’il y en ait d’autres et que certains de ces motifs pourraient être les mêmes que ceux qui ont sous-tendu d’autres assassinats, tentatives d’assassinat, ou attentats. Ces mobiles en question prennent racine dans des considérations variées (internationales, régionales, nationales) et sont liés à des questions politiques, économiques, financières ou relatives au monde des affaires.
Encore une fois, nous allons assister au Liban et dans une large partie du monde arabe, à une déferlante d'analyses contradictoires. Mais dans les médias occidentaux, les paroles contradictoires, les témoignages circonstanciés sur les pressions sur les témoins, les accusations de torture, les preuves négligées ou détruites, etc., venant parfois de personnages importants et reconnus au Liban, seront totalement ignorés. Même pour les points qui sont pourtant présents à l'intérieur même du rapport officiel.

Le rapport officiel indique que les points suivants sont problématiques:
  • la moitié des échantillons humains disponibles ont été retrouvés plus d'un an après l'explosion;
  • on doit préciser le lieu de l'explosion... au-dessus ou en dessous du sol;
  • on enquête sur la possibilité d'un lâcher aérien;
  • on doit encore préciser le nombre de déflagrations.
L'Orient-Le Jour titre: «Pour Brammertz, plus l'ombre d'un doute: les 14 attentats sont bel et bien liés».

5 commentaires:

Sophia a dit…

Je ne vois pas pourquoi les enquëteurs de l'ONU doivent rendre des rapports qui soulèvent plus de questions qu'ils n'apportent des réponses.
Si vraiment la thèse d'un attentat suicide se confirme, je ne vois qu'un seul pays d'ou peut venir cet homme à la couronne si spéciale et qui est le pemier producteur de terroristes aux causes perdues...

Anonyme a dit…

Quelques compléments en vrac:

Aux défenseurs libanais de la "démocratie pro-occidentale" (la formule est d'Hubert Védrine) déchaînés dans leurs accusations contre Damas, Michel Aoun, fatigué, a fini par rétorquer "A supposer même qu'il n'y ait qu'une chance sur mille pour que la Syrie ne soit pas impliquée dans ce meurtre, nous devons considérer cette chance".

Sur l'assassinat de Rafic Hariri, j'invite les anglophones à consulter ces deux excellentes (vraiment exellentes) analyses:

1) Sur la position américaine immédiatement après l'assissinat de Hariri:
http://www.wsws.org/articles/2005/feb2005/syri-f16.shtml

2) Sur l'implication de la CIA et du Mossad:
http://www.wsws.org/articles/2005/feb2005/hari-f17.shtml

Instructive est aussi l'analyse de Silvia Cattori, récemment publiée sur le Réseau Voltaire: "Attentat contre Rafic Hariri: une enquête biaisée?"
http://www.voltairenet.org/article143440.html

Ne pas oublier non plus de lire les articles de Gilles Munier qui ne mâche pas ses mots:

http://www.michelcollon.info/articles.php?dateaccess=2005-02-25%2009:14:59&log=invites
Au bas de cette même page, on trouve aussi, sur le même sujet, les intéressantes vues de Patrick Seale, The Guardian.

Et, plus récemment, le même intrépide Gilles Munier:
http://www.stopusa.be/scripts/texte.php?section=BM&langue=1&id=24703

J'ai trouvé également intéressante l'analyse de Barah Mikaïl, chercheur à l'IRIS "Hariri: le Mossad ou Al Quaïda?":
http://espionnage.over-blog.com/article-634672.html

Le titre de ce dernier article m'a fait sourire, me rappelant les paroles de Nasrallah quand, comme tombé du ciel, est apparu sur nos écrans de télévision "un barbu d'Al Quaïda" qui affirmait vouloir aider le Hezbollah dans sa lutte armée contre Israël. Lucide, Nasrallah n'a pas tardé à répliquer: "L'organisation Al Quaïda a été créée de toutes pièces par Israël et les Etats-Unis dont elle sert les intérêts". Donc, si l'on se fie aux paroles de Nasrallah, le titre de Barah Mikaïl "Hariri: le Mossad ou Al Quaïda?" devient "Hariri: le Mossad ou le Mossad?"

Enfin, dans un autre billet vous renvoyez au blog de Gresh pour lire en anglais et français le récent discours de Nasrallah. Il arrive aussi que le site français de Al Manar (http://www.manar-fr.com/) publie intégralement les interventions du chef du Hezbollah.

Cordialement

Anonyme a dit…

Cher Nidal
ceci est un commentaire n'ayant pas un rapport avec l'article ci-dessus.

Pourrais tu nous dedier un article au hezbollah lui meme...

De ses débuts dans l'ombre revolutionnaire islamique, a ses reformes pre et post Taef ainsi qu'a ses positions aujourd'hui .. Sans oublier les chemins de ce parti: qui commence de l'interieur pour passer a l'exterieur ainsi qu'aux relations francaises qu'a établit ce parti et quelques aspects socio-religio-culturels tel que la culture du martyr mais aussi le support fincancier des ressortissant chiites libanais ayant fais fortune dans le monde et notamment en afrique..

Nous sommes tout deux assez intelligents pour se rendre compte qu'aucune position politique actuelle n'est pas dans le tord, alors c'est avant tout une clarification que je demande. Merci D'avance.

Anonyme a dit…

A Anonymous qui veut en savoir plus sur le Hezbollah, je pense que cet article est une bonne entrée en matière:
http://medintelligence.free.fr/bdlibanhezbo.htm#Journal

Anonyme a dit…

Les choses sont enfin claires!

Il s'agit évidemment du lâcher aérien (d'un avion, ou d'un dirigeable) d'un van mitsubishi bourré d'explosif. Celui-ci, avant de pénétrer profondément dans la chaussée a percuté le kamikaze qui servait de cible, et de percuteur.

Je regrette de constater que certains doutes subsistent face à de telles expertises et à leurs indubitables conclusions.

Quant aux motifs, ils sont évidemment multiples, et tous liés à la présence d'armes de destruction massives en Syrie, ou au trafic de drogue au Burkina Faso, mais lorsque l'on sait que tous ces criminels ont en commun la haine de l'occident, et notamment de Paris Hilton, il est évident qu'il faut tous les poursuivre, jusque dans les toilettes, évidemment.

Cessez de voir autre chose que la réalité!